Une tribune inédite pour la diplomatie française
Du 30 mai au 1er juin 2025, s’est tenue à Singapour la 22e édition du Shangri-La Dialogue, sommet stratégique majeur en Asie-Pacifique sur les enjeux de défense et de sécurité. Organisé par l’IISS (The International Institute for Strategic Studies), ce forum réunit chaque année décideurs politiques, militaires, industriels et universitaires venus de toute la région. Et pour la première fois, c’est un chef d’État européen, le président de la République, qui a prononcé le discours d’ouverture. Une initiative forte qui marque l’ambition de la France dans l’Indopacifique, zone devenue centrale dans la recomposition de l’ordre mondial.
(Re)voir le discours du président de la République
L’Indopacifique, nouveau centre de gravité mondial
La France est un acteur à part entière de cette région : deuxième espace maritime mondial en avec sa zone économique exclusive (dont 90 % se situe en Indopacifique), 1,5 million de citoyens français y vivent, et près de 8000 militaires y sont stationnés. La stratégie Indopacifique de la France, lancée dès 2018, affirme cette présence à la fois souveraine, partenariale et multilatérale. À Singapour, Emmanuel Macron a appelé à dépasser la logique des blocs et la confrontation entre Chine et États-Unis, pour bâtir une « troisième voie » fondée sur la souveraineté, le respect du droit et la coopération durable.
Pour une nouvelle architecture de sécurité mondiale
Le discours du président a sonné comme un appel à l’autonomie stratégique pour les pays européens comme asiatiques. Emmanuel Macron a dénoncé les « sphères de coercition » imposées par les puissances révisionnistes, soulignant que la division du monde en deux hégémonies serait une menace pour la stabilité et la liberté de tous. Il a aussi mis en garde contre les « doubles standards », plaidant pour une cohérence des positions internationales face aux crises : Ukraine, Taïwan, Gaza. « Si nous considérons que la Russie peut être autorisée à s’emparer d’une partie du territoire de l’Ukraine sans restriction, sans contrainte, sans réaction de l’ordre mondial, que dira-t-on au sujet de ce qui pourrait se passer à Taïwan ? », s’était-il interrogé à la tribune de ce forum.
Vers une coalition des indépendants : Europe – Asie
Emmanuel Macron a proposé de construire une coalition d’États souverains, décidés à défendre un ordre mondial stable, fondé sur le droit international, la protection des biens communs (climat, sécurité alimentaire, biodiversité), et une croissance partagée. Il a fait explicitement référence à la conférence de Bandung de 1955, soulignant l’importance d’une alliance Euro-Asie fondée sur les principes, et non sur les influences. En miroir des critiques envers l’OTAN en Asie ou l’expansion militaire chinoise, le président a affirmé la nécessité d’une défense européenne crédible, d’un réarmement stratégique maîtrisé, et de nouvelles coopérations industrielles et technologiques, en particulier avec les pays de l’ASEAN, l’Inde, le Japon ou les signataires du CCTPP (Comprehensive and progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership).
Un discours offensif à la hauteur des enjeux contemporains
Sans ambages, Emmanuel Macron a confronté la Chine sur ses responsabilités (notamment vis-à-vis de la Corée du Nord) et interpellé les États-Unis sur leur propre cohérence stratégique, notamment dans la gestion du conflit ukrainien. Ce positionnement s’inscrit dans une diplomatie ambitieuse revendiquant l’indépendance sans neutralité, la fermeté sans hostilité. « Construisons une nouvelle alliance positive entre l’Europe et l’Asie, fondée sur nos normes et nos principes communs. »
Une diplomatie d’équilibre pour un monde multipolaire
En prenant la parole à Singapour, Emmanuel Macron a envoyé un signal fort : la France entend rester un acteur stratégique global, capable d’initiative, de proposition et d’alliance. Face à un monde de plus en plus fragmenté, il ne s’agit plus de choisir entre les blocs, mais de bâtir les conditions d’une autonomie partagée. Ce message résonne particulièrement en Asie comme en Europe, dans un moment où l’ordre international exige clarté, cohérence et courage.