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Préparer la paix, choisir la force : le courage d’un tournant stratégique

Il est des moments où les événements convergent pour nous forcer à regarder la réalité en face. Le discours du général Mandon, chef d’état-major des armées, devant les maires de France, et les débats en cours autour d’un cadre de paix entre l’Ukraine et la Russie, racontent le même basculement : celui d’un réveil stratégique. 

Depuis plusieurs années, les milieux stratégiques nous alertent. À mon échelle, je n’ai cessé de relayer l’instabilité du monde, sa férocité militaire, économique, sociale. Et je déplore que trop de responsables s’entêtent encore dans le déni. L’ordre international est contesté. Nos démocraties sont ciblées. Nous vivons un affrontement non pas conjoncturel, mais structurel, entre deux visions de l’avenir du monde, celle des démocraties et celle des régimes autoritaires. Et cette confrontation ne fait que commencer. 

Dans ce contexte, vouloir la paix ne suffit plus. Il faut vouloir la paix et, en même temps, s’y préparer par la force. Non pour menacer, mais pour dissuader. Non pour dominer, mais pour rester libres. Non pour agresser, mais pour choisir : choisir notre destin et notre souveraineté. C’est le sens des propos du général Mandon. Ils posent une question essentielle : sommes-nous prêts, en tant que Nation, à affronter la réalité et à faire face collectivement à la brutalité du monde ? Cette réponse ne peut plus être reportée. 

Le CEMA a eu raison de s’adresser aux maires, qui sont en première ligne de notre démocratie et les premiers acteurs de l’action publique sur le terrain. Il a eu raison de parler de « forces morales ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit : pas seulement de moyens ou d’effectifs, mais de la force d’âme qui permet à une société de résister, de tenir, de se relever. Ce ressort, il faut le réactiver collectivement sans attendre. Nous avons cru, parfois, que la paix allait de soi. Que la guerre appartenait à un passé dépassé. Que la diplomatie suffirait à tenir le monde. Et que la chute du modèle soviétique était la fin de l’histoire. Mais écoutons la clairvoyance de Romain Rolland : « Même si nous les fuyons, le crime et le malheur viendront nous chercher. » Nous n’avons plus le luxe de l’insouciance. Et encore moins aujourd’hui, alors que notre allié américain semble traversé par une fatigue stratégique. Sa démocratie elle-même semble parfois ne plus discerner ses amis de ses adversaires. Cette bascule oblige les Européens à une vérité simple : la sécurité de l’Europe ne doit reposer que sur nous-mêmes. Il y a urgence à sortir de l’aveuglement

Car ce que tente le Kremlin, ce n’est pas seulement de briser un pays, c’est de renverser l’ordre international né en 1945. Un ordre certes imparfait, qu’il faudra sans doute adapter à un monde multipolaire, mais qu’il ne faut pas abandonner à ceux qui veulent le piétiner. 

Je salue les efforts de la diplomatie française pour soutenir un plan de paix réel, rigoureux, réaliste, un plan qui garantisse une architecture de sécurité crédible pour l’Ukraine et les Européens. Aucun pays européen ne souhaite la guerre. Mais tous doivent désormais s’armer pour défendre la paix. Il n’y a pas d’alternative. 

Ainsi, je soutiens pleinement la décision du Premier ministre de saisir rapidement le Parlement sur les dépenses de sécurité. Cette responsabilité est collective. Nous avons doublé le budget de nos armées depuis 2017 : il nous faut désormais atteindre 3 % du PIB au plus vite. Le temps des alertes est derrière nous. Le temps de reconstruire notre puissance commence. 

 Oui, nous devons soutenir l’Ukraine jusqu’à ce qu’une paix juste soit possible. Oui, nous devons préparer notre pays, nos enfants, nos territoires, nos institutions, nos entreprises, à un monde plus dur. Oui, nous devons faire ce que les démocraties font quand elles veulent survivre : s’unir, s’armer, rester fidèles à leurs principes. Nous ne devons pas céder à la peur. Nous devons faire face. La paix par la force n’est pas une contradiction : c’est une stratégie. Et c’est aujourd’hui un choix vital.



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