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Sans médias, pas de démocratie!

20 janvier, 2019

La crise sociale dite des « gilets jaunes » semble coïncider avec une autre crise: celle de l’information. Sommes-nous en train de nous enfoncer peu à peu dans une ère de post-vérité à l’image de ce que connaissent les Etats-Unis? Les images de journalistes agressés ces derniers jours sont insupportables, non seulement parce que la violence physique est inacceptable, quels qu’en soient la cible et les auteurs, mais aussi parce qu’en attaquant la profession de journaliste, en empêchant physiquement la presse, pourtant libre dans notre pays, de couvrir un évènements majeur, c’est la démocratie que l’on touche au cœur. La profession de journaliste est comme d’autres professions en pleine révolution. Elle doit se remettre en question, s’adapter à de nouveaux usages et médias, réfléchir à certains biais qu’elle peut entraîner, notamment dans une hiérarchisation des sujets et des personnalités parfois biaisée par le besoin de capter une audience.
Mais cessons de taper sur la presse et les médias. Cette chasse à l’homme digne des pires dictatures devient insupportable.
 

« Les médias » sont divers et variés

 
On entend souvent parler « des médias », comme s’il s’agissait d’un ensemble homogène et concerté, comme si l’information était divisée en deux canaux antagonistes: les « médias traditionnels » d’un côté, c’est à dire animés par des professionnels rémunérés et rapportant une vision lisse et consensuelle du monde, et les médias sociaux de l’autre, censés diffuser une parole neutre, désintéressée et proche du « peuple ».
Bien évidemment, cette vision est fausse!
De Fakir (le journal de François Ruffin) à Minute (journal d’extrême droite) en passant par Libération, Médiapart, Le Monde et Le Figaro, de TV5 Monde à Russia Today, en passant par Euronews ou CCTV, le média chinois qui propose une chaîne d’information en français, de Radio Courtoisie à France Inter, en passant par Skyrock et et France Culture, de l’identitaire fdesouche à « Le Média » de la France Insoumise, les médias sont multiples, pluriels, de sensibilités variées.
Au sein même de médias nationaux, régionaux, étrangers, les différents journalistes qui composent une rédaction ne suivent pas forcément la même ligne, ne sont pas forcément animés par les mêmes convictions, le même rapport aux sujets qu’ils traitent. Un journaliste est avant tout une personne, un citoyen. Son traitement de l’information ne pourra jamais être complètement neutre certes, mais il n’y a certainement pas une ligne unique « des médias ». Il y a autant de façons de traiter une information qu’il y a de journalistes en exercice. C’est pour cela que la multiplicité des sources et des supports est une richesse, un gage de qualité de l’information.
 
Rappelons aussi que, loin de l’image du journaliste grassement rémunéré et protégé du pouvoir, la plupart sont pigistes, peu et mal payés. Les caméramans et, grande nouveauté, les agents de sécurité qui les accompagnent désormais, exercent bien souvent leur métier dans la même précarité matérielle.
 

Le danger de la bulle cognitive

 
Les pouvoirs publics comme le secteur privé n’ont pas attendu la crise des « gilets jaunes » pour se rendre compte que la bataille de l’influence se faisait sur la toile.
Tous les acteurs du débat public sont présents sur les réseaux sociaux: lobbies, personnalités politiques, grands groupes industriels, médias français et étrangers, acteurs d’influence diplomatiques plus ou moins identifiables. La bataille de la communication se joue sur le Web. Croire que ne s’expriment sur les réseaux sociaux que des citoyens éclairés, neutres et désintéressés est une illusion. 
 
Seulement, les réseaux sociaux, contrairement aux apparences, plutôt que de nous unir et de susciter le débat, nous enferment, nous regroupent, nous parquent dans des groupes d’utilisateurs très segmentés.
Faites l’expérience d’ouvrir l’application YouTube sur le téléphone d’un fan de jazz, d’un mordu de mangas japonais, d’un conspirationniste ou d’un député de La République en Marche! Vous y verrez des contenus totalement différents. Il en serait de même si vous consultiez son compte Facebook, Twitter, LinkedIn, ou encore les informations de son application Google Actualités. 
Nos réseaux sociaux nous chérissent. Ils s’adaptent à nous, à nos envies, à nos centres d’intérêt, à nos idéologies. Ils font tout pour ne pas nous froisser, pour nous pousser à « consommer » du contenu. Leur business model, c’est-à-dire leurs revenus,  en dépend.
Nous vivons tous dans une bulle cognitive créée pour notre confort par les réseaux sociaux. Mais ces bulles sont un leurre. Elles nous donnent à voir le monde de manière déformée, grossissante, rassurante parfois. En ouvrant son téléphone, certains verront chaque matin le pays à feu et à sang, tandis que d’autres ne verront pas un mot sur la situation politique française. Dans les deux cas, il s’agit d’une vision incomplète. 
Les bulles cognitives peuvent même devenir un danger pour certains citoyens, les éloigner de la réalité et du débat démocratique, les « informant » uniquement de fake news, les algorithmes estimant qu’ils apprécient ce genre de contenus.
Les réseaux sociaux, en voulant nous proposer du contenu adapté à nos aspirations, nous font croire que le monde entier a la même vision du monde que nous. En réalité, les réseaux sociaux ne nous rapprochent pas, ils nous divisent!
 

Le live: une fausse bonne idée

 
Une nouvelle tendance exacerbée lors de cette crise des gilets jaunes a été l’utilisation massive de lives. Chaînes d’informations en continu, médias en ligne ou simples citoyens se sentent désormais obligés de tout filmer et de retranscrire des images brutes, dans l’instant, sans traitement préalable. L’enjeu: répondre à la défiance de certains et aux accusations de censure. Mais ce traitement instantané de l’information, s’il peut avoir son utilité, ne se suffit pas à lui-même.
Le live n’est que le compte-rendu de ce qui se passe en un point donné à un instant t. Il ne rend pas compte d’une situation globale, il ne prend aucun recul géographique ni temporel. 
Le travail du journaliste n’est pas uniquement de filmer en bas de chez lui pour apporter au téléspectateur une information brute et dénuée de tout contexte, tel le simple trépied d’une caméra de surveillance. Le journaliste met l’information en perspective, la compare, la vérifie, croise ses sources, l’explique, parfois avec le filtre de ses convictions personnelles, parfois avec maladresse, parfois avec brio. On peut aimer un type de journalisme plutôt qu’un autre, mais refuser tout filtre journalistique au traitement de l’information est à l’évidence une erreur. Croire qu’une vidéo brute ne passe sous aucun filtre est d’ailleurs une autre grossière erreur. Ces vidéos sont commentées, partagées par certaines pages et par des groupes, avec un message de présentation (ou non…), délaissées par d’autres groupes, reprises par des médias traditionnels, des blogueurs, des influencers, coupées et montées par des vidéastes, et partagées à nouveau, souvent dans le plus grand anonymat, sans que l’on ne sache rien de celles et ceux qui sont à l’origine de tel montage ou tel commentaire. 
 

La presse libre est le ciment de toute démocratie

 
Interroger les médias est très sain. C’est le signe d’une société démocratique dans laquelle chacun a la faculté de penser par lui-même. Vouloir mettre en place de nouveaux moyens d’expression, en dehors de tout cadre institutionnel ou médiatique est également une excellente chose. Cela prouve que les citoyens se saisissent d’un droit fondamental: celui de s’exprimer.
En revanche, refuser la contradiction du citoyen face au journaliste ou du journaliste face au citoyen, c’est refuser la démocratie. Bloquer l’accès à certains réseaux sociaux (comme c’est le cas dans certains pays), c’est refuser la démocratie. Refuser la présence ne serait-ce que d’un média dans une manifestation publique, c’est refuser la démocratie. La pluralité de la presse et des médias sont l’un des principaux fondements de toute démocratie. Il n’y a pas de démocratie sans opinions divergentes et il n’y a pas de démocratie sans débat contradictoire. 
Vouloir faire croire que le peuple, uni et indivisible, pense et s’exprime d’une seule voix, pense d’une seule façon et n’envisage l’avenir de son pays que dans une seule direction est une attitude dictatoriale. Mais au delà de la subjectivité nécessaire de leurs analyses, les journalistes ont également un rôle fondamental pour lutter contre les fausses informations qui pullulent sur la toile. 
Alors je voudrais afficher tout mon soutien à nos médias, à nos presses et à nos journalistes. En ces temps agités, votre travail est plus important que jamais. La démocratie a besoin de vous!
 
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