Le 17 février dernier, l’Assemblée nationale a adopté, à l’unanimité, le projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République Française et le gouvernement de la république de Singapour.
Il s’agit d’un texte que certains, au sein de la communauté française de Singapour, attendaient particulièrement. Pourquoi ?
A quoi sert une convention d’entraide judiciaire en matière pénal ?
Les conventions d’entraide pénale permettent à deux Etats signataires de s’entraider dans la conduite d’enquêtes judiciaires, notamment lorsque des éléments de preuve se trouvent chez l’un d’eux. Cette entraide peut inclure la localisation de personnes, la perquisition, la saisie ou la communication de documents officiels.
La France a déjà signé des accords d’entraide pénale avec de nombreux pays en Asie dont le Laos, la Corée du Sud, la Thaïlande ou le Vietnam.
Pourquoi la France a-t-elle conclu une telle convention avec Singapour ?
Dans le cas de Singapour, nos deux pays s’entraident d’ores et déjà en matière pénal, sur le fondement de la réciprocité et de la courtoisie internationale.
Ainsi, la France a saisi Singapour de 103 demandes d’entraide pénale depuis 2010. La plupart de ces demandes concernent des affaires de délinquance économique et financière. Cette entraide avec Singapour a aussi permis de récemment saisir plus de 10 millions de dollars provenant de l’activité d’un réseau organisé spécialisé dans l’escroquerie aux quotas carbone.
Fort de cette bonne coopération, la France et Singapour ont souhaité aller plus loin, en la dotant d’un cadre juridique.
Pour la France, la raison est surtout opérationnelle : certaines de ses demandes d’entraides se heurtent en effet à des difficultés d’exécution qui ne sont pas liées au manque de bonne volonté des autorités singapouriennes, mais à la complexité de la procédure pénale de ce pays, qui oblige les praticiens français à formuler de nombreuses demandes complémentaires.
Pour Singapour toutefois, l’enjeu est moins lié à ces difficultés d’exécutions – depuis 2010, elle n’a saisi la France que de trois demandes d’entraides. En revanche, la dimension politique de l’accord est significative : la France est ainsi le premier pays de droit civil avec lequel Singapour conclue une convention d’entraide pénale. Elle n’en avait conclu jusqu’à présent qu’avec des pays de la Common Law, où les règles sont principalement édictées par les tribunaux au fur et à mesure des décisions individuelles.
Que prévoit-elle ?
Mieux réprimer toutes les infractions pénales pour faire reculer l’impunité.
Que devons-nous attendre de cette nouvelle convention ?
Certes, il s’agira de s’attaquer plus fermement à la délinquance économique et financière, mais aussi à tous les autres crimes et délits, comme les homicides ou la pédophilie. Les faits de visionnage de vidéos pédopornographiques ont par exemple explosé durant le confinement. On en déplore des dizaines de milliers chaque année.
Cette convention élargit le champ de l’entraide : nos deux pays s’engagent, à l’article 1er, à s’accorder l’entraide judiciaire la plus large possible. L’extradition est exclue du dispositif. Les autorités singapouriennes ont indiqué vouloir procéder par étape, en commençant par l’entraide judiciaire qui pose moins de questions au regard du droit des personnes.
La convention prévoit également une série de motifs qui permettent de refuser l’entraide. Ce sera ainsi le cas lorsque la demande concernera une infraction de nature politique. Ces clauses sont classiques mais indispensables pour rester fidèles à notre conception de l’État de droit et des droits humains. Tous les motifs de refus ne sont toutefois pas justifiés, et il convenait également d’écarter ceux qui pouvaient limiter indûment la portée de la convention : il est ainsi prévu qu’aucune partie ne peut invoquer la nature fiscale d’une infraction ou l’obstacle du secret bancaire pour refuser une demande d’entraide.
La convention permettra également de fluidifier les interactions : les autorités compétentes sont ainsi clairement identifiées.
L’article 4 dresse la liste de tous les documents qu’il faudra produire à l’appui d’une demande d’entraide. La longueur de cette liste reflète la complexité de la procédure pénale singapourienne mais elle est simplifiée par rapport à ce que demande habituellement Singapour. Surtout, elle est exhaustive, ce qui évitera aux praticiens français de devoir présenter de trop nombreuses demandes complémentaires qui ralentissent le processus.
La convention prévoit par ailleurs des standards partagés pour chaque type de demande d’entraide : localisation d’une personne, comparution, perquisition ou confiscation des produits d’une infraction. Ces référentiels communs sont évidemment très utiles pour les praticiens.
Enfin, la convention intègre les règles les plus modernes en matière d’entraide. Elle ouvre ainsi la possibilité d’auditionner des témoins ou des experts par visioconférence lorsque la comparution en personne est compliquée. Elle sanctuarise le socle de protection des données personnelles, tel qu’il s’impose à nous dans le règlement européen sur la protection des données (RGPD). Notons que Singapour réfléchit à la rédaction d’un règlement qui s’inspire de notre RGPD, ce qui témoigne de l’influence mondiale de cette norme.
Le dossier législatif
Au total, cette convention d’entraide judiciaire en matière pénale témoigne, une fois de plus, de la très bonne relation bilatérale qu’entretiennent la France et Singapour – les deux pays avaient en effet déjà conclu des accords dans d’autres domaines, qu’il s’agisse de la défense, de la fiscalité ou de la culture. Notre communauté française à Singapour est aussi un témoin important de cette relation.
Nous pouvons nous féliciter de voir cette nouvelle pierre ajoutée à l’édifice commun, et espérer que d’autres lui succèderont à l’avenir.