« La France doit être beaucoup plus entreprenante, constructive et proactive dans l’OTAN » : Anne GENETET présente les conclusions de sa mission d’information sur la France dans l’OTAN
Dans le contexte d’un rôle central de l’OTAN « ranimé » par la guerre russo-ukrainienne, la vice-présidente du groupe Renaissance dénonce aussi la position de La France Insoumise.
Anne GENETET, députée Renaissance de la 11e circonscription des Français établis hors de France, a présenté mercredi 22 mai 2024 devant les membres de la commission de la défense nationale et des forces armées les conclusions de la mission d’information sur « les enjeux, le rôle et la stratégie d’influence de la France dans l’OTAN« , dont elle était co-rapporteure avec son collègue député La France Insoumise Bastien LACHAUD.
Au terme d’un travail de fond comprenant une quarantaine d’auditions (fonctionnaires, représentants et hauts cadres de corps militaires, diplomates, personnes issues de la société civile) et cinq déplacements à l’étranger (États-Unis, Belgique, Grèce, Turquie, Estonie), les deux co-rapporteurs ont très largement divergé sur les positions et les propositions concernant l’avenir de la France dans l’OTAN. « Nous nous sommes accordés sur nos désaccords et c’est la raison pour laquelle nous avons présenté un rapport 2 en 1« , explique Anne GENETET. « Après un état des lieux, chacun d’entre nous a développé ses propres recommandations« .
Un état des lieux indéniable
Conformément à la lettre de cadrage qui leur avait été adressée en novembre 2023 par le président de la Commission de la défense nationale et des forces armées, les co-rapporteurs Anne GENETET et Bastien LACHAUD ont étudié le bilan de la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN en 2009, la perception de l’OTAN en France ainsi que la perception des positions françaises auprès des partenaires de la France, la stratégie d’influence française au sein de l’OTAN et de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN), de même que l’articulation UE-OTAN, et les leviers d’influence politiques et militaires dont la France dispose.
La députée constate d’abord que « la guerre en Ukraine a mis en évidence le rôle central de l’OTAN dans la défense territoriale de l’Europe« . Non seulement l’Alliance atlantique s’est immédiatement mobilisée, mais elle s’est aussi élargie à de nouveaux membres et elle a su adopter un nouveau concept stratégique.
Le rapport souligne aussi que « la France a une position singulière dans l’OTAN« , laquelle lui a toujours donné une grande influence – influence renforcée par le retour dans le commandement militaire intégré. Cette position singulière résulte de « capacités militaires et opérationnelles inédites« , avec notamment une armée d’emploi et une dissuasion autonome, au fondement d’un rapport différent, car « non-existentiel« , à l’OTAN, et d’une « histoire complexe » jalonnée de revirements politiques. Du fait de cette position singulière, si la France est en mesure de défendre ses intérêts politiques, militaires et industriels, sa présence reste insuffisante pour les hauts postes à responsabilité. De même, si la France est perçue par ses alliés comme une puissance militaire crédible, et si son engagement dans la défense du flanc Est de l’OTAN comme nation-cadre en Roumanie a été plébiscité, son attitude de « franc-tireur » et son comportement indépendant nourrit une « suspicion persistante » sur « la sincérité de son engagement » dans l’OTAN.
Enfin, la France doit relever plusieurs défis pour être un « allié exemplaire » au sein de l’OTAN. Le premier défi pour la France est l’interopérabilité, en dépit des risques financiers, industriels et de ressources humaines. Le deuxième défi est d’être une force motrice de la coopération UE-OTAN, aujourd’hui bloquée, alors même que son potentiel est fort. Le troisième défi est celui de l’unité dans l’OTAN, malgré des divergences sur la perception et la hiérarchie de certaines menaces – russe, chinoise… Le quatrième défi est celui de la clarté de la stratégie de la France dans l’OTAN, alors que les angles morts de la Revue nationale stratégique (RNS) de 2022 l’en prive, et ce de façon préjudiciable.
Stratégie, crédibilité, anticipation : trois objectifs pour la France dans l’OTAN
A partir de ce diagnostic, Anne GENETET a fixé trois principaux objectifs à la France dans l’OTAN et développé les voies et les moyens de les atteindre. Au terme de la mission, la députée est arrivée à la conviction suivante :
« Défendre la France au 21e siècle, son territoire, ses intérêts et sa population, ne peut reposer que sur une coalition. Face aux menaces auxquelles est confronté notre pays et aux métamorphoses de la guerre, face à un avenir géostratégique plus incertain que jamais, l’OTAN n’a jamais été aussi importante pour la France et l’Europe et, inversement, la France n’a jamais été aussi importante pour l’OTAN car elle sera en première ligne en cas de prise de distance des États-Unis. C’est l’OTAN qui apporte à la France la meilleure des garanties de défense, en démultipliant la puissance de nos armées sans remettre en cause leur indépendance. C’est en investissant l’OTAN et en développant la ‘culture OTAN’ dans notre pays que la France sera en mesure de défendre au mieux ses intérêts, y compris l’autonomie stratégique européenne à travers l’affirmation d’un véritable pilier européen de défense. La France n’a finalement rien à perdre à s’impliquer davantage dans l’OTAN et dans son commandement intégré. Elle a en revanche tout à perdre à faire le contraire. C’est que j’appellerais le ‘pari otanien’. »
Le premier objectif, à court terme, fixé par la secrétaire de la commission de la défense, est que la France élabore une stratégie dans l’OTAN qui conjugue la défense de ses intérêts et la nécessaire solidarité avec ses alliés. Postulant que l’OTAN restera centrale pour la défense collective de l’Europe dans l’avenir prévisible, puisque « l’autonomie stratégique européenne n’est pas une possibilité réaliste à court terme« , qualifiant l’OTAN « d’impensé stratégique » de la politique de défense de la France, la députée estime « essentiel » de coucher sur le papier une vision et des objectifs en assumant pleinement la défense en coalition du pays. C’est l’occasion de dissiper « les doutes sur la sincérité de l’engagement de la France« , de répondre aux « questions laissées sans réponse par la RNS« , de rompre avec « l’ambiguïté de l’indépendance nationale » et d’en « finir avec l’obsession de l’Union européenne que notre pays évoque à tout propos, y compris lorsqu’il veut parler de l’OTAN« . Elle plaide aussi pour que cette stratégie fasse l’objet d’une large publicité et d’un débat au Parlement afin de développer une « culture OTAN » qui fait trop défaut chez les responsables politiques et dans l’opinion publique. Il serait par exemple essentiel que l’Alliance soit désormais qualifiée et vécue par la France comme « notre Alliance« .
Le deuxième objectif, à moyen terme, fixé par Anne GENETET, est de renforcer la crédibilité de la France au sein de l’OTAN en capitalisant sur ses atouts et en œuvrant à apaiser les suspicions des alliés. Le renforcement de la crédibilité de la France passe d’abord par l’accroissement de son effort de défense et son implication accrue dans les organes et les activités de l’Alliance, y compris les exercices en termes de moyens et de soldats. Il passe ensuite par une attention et une écoute accrues portées aux besoins et aux attentes de ses partenaires, de sorte de maximiser sa capacité d’entraînement et la réception de ses propres idées. Il passe aussi par l’accélération de la ré-acquisition d’un savoir-être perdu à l’extérieur du commandement militaire intégré. La députée suggère enfin que l’intégration de la France dans le groupe des plans nucléaire (NPG) constituerait un « choc de confiance » vis-à-vis des alliés susceptible de « parachever le retour de la France dans l’OTAN« .
Le troisième objectif, à long terme, fixé par la présidente de la délégation française à l’AP-OTAN, est de préparer un avenir plus incertain que jamais en créant un pilier européen de l’OTAN, étape sur la voie de l’autonomie stratégique européenne. Les facteurs d’incertitude concernent principalement la garantie de sécurité des États-Unis, avec le pivotement structurel des intérêts stratégiques américains vers l’Asie et la perspective conjoncturelle d’un retour de Donald TRUMP à la présidence des États-Unis. « Si cette hypothèse d’un affaiblissement de l’implication américaine en Europe devait se réaliser, notre pays, qui est la première puissance militaire du continent et le seul membre de l’UE doté de l’arme nucléaire, se retrouverait en première ligne et devrait assumer ses responsabilités vis-à-vis de ses alliés européens« , prévient la députée. « Il est donc dans l’intérêt de la France, dès aujourd’hui, de travailler à construire ce fameux pilier européen de l’OTAN dont on parle depuis presque vingt ans« , recommande-t-elle. « Qu’on le veuille ou non, l’interopérabilité entre armées européennes se fait au sein de l’OTAN et elle continuera à s’y faire. C’est donc au sein de l’OTAN que se construit, au-delà du pilier européen, l’autonomie stratégique européenne« , souligne la co-rapporteure.
LFI : un positionnement idéologique fâché avec le réel
Si Anne GENETET avait accepté cette mission d’information pour émettre certains messages sur la thématique de l’OTAN, sur laquelle elle travaille à la fois comme secrétaire de la commission de la défense et présidente de la délégation française à l’AP-OTAN, elle voulait aussi s’impliquer dans un débat de haut niveau avec l’extrême gauche insoumise. « Dans ce contexte de guerres aux frontières de l’Europe, je considère que nul ne devrait badiner avec nos enjeux stratégiques et diplomatiques, quelles que soient par ailleurs ses œillères idéologiques« .
Bien que la députée ait apprécié le travail en commun réalisé avec son collègue Bastien LACHAUD dans le cadre de leurs auditions et de leurs déplacements, elle déplore son « tête à queue sur le fond« , entre « un état des lieux partagé de façon pragmatique par l’ensemble des personnalités auditionnées – politiques, militaires, chercheurs » et « des positions figées dans le formol idéologique« . La députée le regrette vivement : « la version LFI du rapport est sans queue ni tête !« . Elle s’interroge plus largement sur la responsabilité des politiques qui souhaitent voir la France se retirer de l’OTAN en cas de conflit majeur. « Être à ce point anti-Alliance, n’est-ce pas nier la réalité de la violence du monde, nier la réalité de nos intérêts vitaux et nier la réalité de nos propres forces ? Autrement dit, n’est-ce pas fragiliser et isoler notre pays en Europe, en d’autres termes nous mettre en danger ?« , interroge-t-elle. « Manifestement, certains ne voient pas notre environnement stratégique tel qu’il est mais tel qu’ils voudraient qu’il soit. Au contraire, ce dont la France a besoin, c’est d’une vision réaliste dont l’ambition est de donner au pays les moyens de décider et d’agir pour contrôler son destin. Le réalisme, c’est de comprendre que la France a besoin de l’OTAN et que l’OTAN a besoin de la France, l’un n’allant pas sans l’autre« , conclut-elle.
15 recommandations
Recommandation générale : Investir et développer une « culture OTAN » dans le temps long, au service d’une stratégie française au sein de l’OTAN et dans le but de défendre nos intérêts, y compris l’autonomie stratégique européenne.
Recommandation n°1 : Rédiger une stratégie française qui soit en mesure de définir la vision française de l’OTAN et ses objectifs, tout en montrant notre implication et notre appropriation de l’Alliance.
Recommandation n°2 : Prioriser les combats à mener au nom de l’autonomie stratégique européenne, plutôt que d’avoir le réflexe systématique de l’invoquer partout, ce qui décrédibilise nos efforts pour promouvoir le potentiel européen.
Recommandation n°3 : En fonction des objectifs définis dans la stratégie susmentionnée, mettre en place des indicateurs à destination des acteurs français impliqués dans l’OTAN (nombre de postes détenus par des Français, d’exercices auxquels la France participe, de marchés proposés au sein de l’OTAN, etc.).
Recommandation n°4 : Assurer la publicité de cette stratégie française de l’OTAN auprès de nos armées, de nos diplomates et plus largement de l’ensemble des ministères, en y associant le Parlement via un débat.
Recommandation n°5 : Investir davantage les instances parlementaires connexes que sont la délégation française de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN ou le collège de l’OTAN (présence, budget, etc.).
Recommandation n°6 : Renforcer nos effectifs dans des pays tels que la Roumanie ou l’Estonie afin de montrer notre solidarité vis-à-vis de nos alliés, ainsi que notre présence dans les exercices et missions de l’OTAN. Celle-ci pourrait se traduire par un déploiement au sein d’une nouvelle mission sur le flanc sud ou par le fait d’être une deuxième fois nation-cadre dans un environnement tel que le cyber.
Recommandation n°7 : Envisager un effort supplémentaire en matière de dépenses de défense pour atteindre les 3% du PIB à l’horizon 2030, tout en préservant les 20% mobilisés pour l’innovation et la recherche.
Recommandation n°8 : Être exemplaire dans notre soutien à l’Ukraine, d’abord en renforçant l’information sur le soutien militaire apporté par la France, à destination de l’opinion publique, française et étrangère, notamment par une mise en valeur de celui-ci dans les médias et en particulier sur Internet.
Recommandation n°9 : Sensibiliser les opinions publiques grâce à la publication de podcasts en langue française, à l’enseignement de l’OTAN au lycée et dans les établissements d’enseignement supérieur, ou encore la formation des correspondants défense des communes françaises via un kit et une lettre d’information annuelle.
Recommandation n°10 : Accroître notre implication dans les organes et activités de l’Alliance, à commencer par le Commandement alliés opérations (ACO).
Recommandation n°11 : Favoriser la mise en place de « contributions nationales volontaires » au sein de notre administration, afin de créer une acculturation à l’OTAN en aval.
Recommandation n°12 : Créer un « choc de confiance » en intégrant le groupe des plans nucléaires (NPG).
Recommandation n°13 : Préciser systématiquement le périmètre de mission de la Direction générale de l’armement (DGA) et l’assortir d’indicateurs, en cohérence avec la stratégie choisie.
Recommandation n°14 : Renforcer la BITD européenne grâce aux industries de défense européennes, sur la base des conclusions du rapport THIÉRIOT et LARSONNEUR.
Recommandation n°15 : Bâtir et renforcer le « pilier européen de l’OTAN », avant de le mettre au service de l’autonomie stratégique européenne.
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