La proposition de loi intitulée « droit à une fin de vie libre et choisie » mise en débat le jeudi 8 avril à l’Assemblée nationale a été un cas de conscience important pour de nombreux parlementaires. Cela l’a été pour moi. Je n’ai sur ce sujet aucune certitude, beaucoup de doutes et énormément de questions.
Je voudrais d’abord rappeler que cette proposition de loi crée un droit à l’euthanasie dont je veux rappeler la définition du Larousse : « Acte d’un médecin qui provoque la mort d’un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie”. Ainsi en dépénalisant l’acte de donner délibérément la mort, une telle loi renoncerait à « l’interdit de tuer » qui est un fondement de notre pacte social. Il s’agit là d’une rupture anthropologique fondamentale avec le droit existant et avec le serment d’Hippocrate : ni le législateur, ni le médecin que je suis n’y sont indifférentes.
Comme parlementaire, je me suis interrogée sur le sujet de la mort en tant qu’objet de droit. Mourir est une étape de la vie qui n’est ni légale ni illégale. Et le rapport à la mort est propre à chacun. Il est un lien essentiel et personnel que nous avons avec la spiritualité et la philosophie. Sénèque nous enseignait déjà au 1er siècle après Jésus Christ : “Ne sais-tu pas que la source de toutes les misères de l’homme, ce n’est pas la mort, mais la crainte de la mort ?” Nous y voilà : cet ultime chemin vers le bout de notre vie cristallise nos peurs, interroge notre condition humaine et révèle l’inadéquation des réponses de notre société.
En 2018, j’avais signé une tribune rédigée à l’initiative du député Jean-Louis Touraine intitulée « pour une liberté républicaine : le choix de sa fin de vie ». Si je l’avais signée, c’est parce qu’elle dénonçait une terrible réalité à savoir que : « on ne meurt pas bien en France. Aujourd’hui, l’offre de soins palliatifs ne satisfait pas à la multiplicité des situations individuelles et des souffrances des personnes en fin de vie ».
Ma position concernant l’euthanasie n’était pas tranchée – et je tiens à conserver ma liberté de douter. C’est le temps de mon mandat, de mes échanges avec vous, de mes lectures qui m’ont fait prendre conscience qu’un débat approfondi est nécessaire, dans une société qui bouge, et chemine : les débats de 2021 ne sauraient être ceux de 2015, 2005 et encore moins 1999, années qui ont vu naître des lois sur la fin de vie. Je suis convaincue que nous n’avons pas tous une compréhension précise des conséquences de l’ouverture d’un droit à l’euthanasie. Contrairement à ce que l’on fait dire aux sondages, je doute qu’il y ait un consensus en faveur de cette rupture juridique majeure qui consiste à donner un droit à un médecin de tuer son patient.
Nous ne sommes pourtant pas dépourvus de moyens pour accompagner une fin de vie rongée par la maladie. Les lois Leonetti de 2005 puis Claeys-Leonetti de 2016 donnent des droits aux personnes malades, proposent la rédaction de directives anticipées, organisent et renforcent les soins palliatifs, et vont jusqu’à autoriser la sédation profonde pour soulager une agonie douloureuse et permettre une mort apaisée. Ce sont là des lois d’accompagnement qui prônent le non-abandon, la non-souffrance et le non-acharnement thérapeutique. Ce sont des lois utiles qui ont été longuement mûries et prudemment construites pour permettre à chacun d’exprimer son choix de fin de vie avant que ne sonne l’heure où les décisions sont douloureusement percutées autant par l’émotion que par la raison. Ces lois sont malheureusement méconnues, trop peu accessibles et pour la plus récente, pas encore évaluée.
Mais la mort est aussi un objet de vie. Un objet que notre époque s’acharne à éviter, à repousser, à effacer comme dans le magnifique roman Le Passeur de Loïs Lowry. Nous aspirons à rester jeunes, actifs, à gommer les traces du temps, à prolonger nos vies et quelques-uns sont même en quête d’une vie terrestre éternelle – de préférence en bonne santé ! Je crois que la mort doit reprendre sa place dans nos vies. Nous devrions pouvoir en parler, la préparer, l’accompagner, la rendre vivante ! Ainsi ce projet de loi aurait dû davantage être travaillé au regard de cet enjeu en s’interrogeant sur comment mourir entouré ? Comment mourir dans la dignité ? Comment mourir chez soi ? Sans jamais esquiver cette inquiétude légitime : comment mourir sans souffrance ? En se focalisant sur l’euthanasie, ce projet de loi ne répond pas à ces objectifs pourtant essentiels.
D’autre part, je ne peux aborder ce thème sans penser à ma mission et mon expérience comme médecin. Le fondement même du serment d’Hippocrate est de se donner les moyens de sauver la vie. Il va jusqu’à préciser « je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». En inscrivant dans son article premier qu’il sera possible de demander à un médecin une aide active pour une mort rapide et sans douleur, cette loi va mettre les médecins en porte-à-faux par rapport à l’essence de leur mission. Certes, nous pêchons par un déficit de culture du soin palliatif, par un manque de structures adéquates, par une diffusion très insuffisante de l’information aux patients et aux proches, mais nous disposons pourtant de compétences et d’expertises qui doivent nous guider pour faire appliquer dans sa totalité et sans plus aucun délai ce que le législateur a exigé depuis si longtemps : soulager l’agonie et permettre l’accès à chacun à des soins palliatifs de qualité. Je salue ici le plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie annoncé le 11 mars dernier par le Ministre Olivier Veran et dont je sais qu’il répondra à ces objectifs.
Je veux aussi souligner comme médecin qu’il m’a été donné d’observer combien l’être humain peut changer d’avis, jusqu’à la toute dernière seconde, en toutes circonstances, y compris devant la mort. L’inconstance de nos désirs doit pouvoir s’exprimer jusqu’au bout ; c’est pour moi une ultime liberté à laquelle je tiens et que je veux pouvoir exercer sans aucune pression extérieure, fusse-t-elle d’un tiers ou d’une loi. Car ne nous y trompons pas, dès lors que qu’autorisation sera donnée d’administrer activement une mort rapide selon les termes du texte de loi, le poids de ce possible fera basculer notre société tout entière vers de nouveaux raisonnements, vers une nouvelle relation à la vie et à la mort et peut-être vers un ailleurs qui pourrait nous échapper.
Auditionné par la commission des lois en 2015, Robert Badinter soulignait que le droit à la vie est le premier droit de tout être humain et qu’il s’agit là du fondement de l’abolition de la peine de mort. Et il avait ajouté, s’agissant de l’exception d’euthanasie : « Nul ne peut retirer la vie à autrui dans une démocratie ». Je me reconnais pleinement dans ses mots. Tout comme dans ceux du député communiste Michel Vaxès, qui déclarait à la tribune de l’Assemblée nationale en 2009 : « Je refuse d’inscrire dans notre droit que la mort puisse être rangée parmi les ultimes thérapeutiques ».
Je ne voterai pas cette proposition de loi.
On a compris. La proposition ne vient pas de votre bord, alors vous ne la votez pas.
Les Playmobil de la LREM sont tellement faciles à comprendre.
Madame la députée Vous citer Badinter “nul ne peut retirer la vie à autrui dans une démocratie ” et vous dites vous reconnaître dans ces mots. Mais s agit il bien dans ce cas de retirer la vie ? De quelle vie est il question ? Qui sont celles et ceux concernés par ce sujet, si ce n est le plus souvent des personnes dont le quotidien n est que souffrances à la limite du supportable pour elles mêmes et leurs proches. Pourquoi tant de réticences à faire évoluer notre société Cette vision que vous partagez et que je ne… Read more »